POLITIQUEMENT CORRECT
Nous sommes en avril 2046, un gros tiers de siècle après l’application en France de l’interdiction de fumer dans tous les lieux publics, cafés et autres restaurants. Joe Fernwright, « Le guérisseur de cathédrales » du roman déjanté du même nom (1969), marche dans la rue. Il sort de sa poche un paquet de cigarettes, et en allume une. C’est un acte totalement illégal, même à l’air que l’on dit encore libre. Non seulement l’oxygène se doit de rester pur comme du lait de bébé, mais l’Autorité supérieure de l’État tient à préserver notre santé. Bref : à nous protéger contre nous-mêmes, enfants que nous sommes. Le regard de Joe tombe « sur le censeur à fumée monté sur le mur » qui lui fait face, c’est-à-dire sur le flic électronique capable de nous dénoncer. Et « Il se dit à lui-même : dix poscreds la bouffée. »1 Une amende pareille, diable !, ça vous met sur la paille. L’homme s’éponge le front. Il n’ose affronter une nouvelle fois ce politiquement correct devenu pouvoir de contrôle. Alors, il se laisser dominer par cette peur qui nous taraude et nous pousse à la soumission. Et le lâche éteind la cigarette qu’il vient d’allumer. Comme nous au bar du coin.
1 Philip K. Dick, Le Guérisseur de cathédrales (1969), dans le recueil Aurore sur un jardin de palmes, Presses de la Cité/Omnibus (1994), p. 677.