Radio Free Albemuth est le roman le plus autobiographique de Dick entièrement basé sur son expérience avec ce qu'il a baptisé SIVA (Système Intelligent Vivant et Agissant). Dans une réalité alternative aux alentours de 1985, le Président Ferris F. Fremont, un avatar de Richard Nixon, est toujours à la Maison Blanche, pourchassant une organisation terroriste occulte du nom d'Aramcheck. Au nom de la sécurité, les U.S.A. sont devenus un état policier. Un disquaire de Berkeley, Nick Brady, commence à avoir des visions et s'embarque dans une machination pour renverser le gouvernement avec l'aide d'une mystérieuse femme, Sylvia, et de son meilleur ami, l'écrivain de science-fiction Philip K. Dick lui-même. L'histoire se déroule dans les milieux musicaux, à Los Angeles.
Question : En 1999, le script était terminé et vous étiez à la recherche d'un producteur. Maintenant, en 2008, vous avez enfin tourné le film. Pourquoi tant de temps ?
Comme la plupart des scénaristes et producteurs, j'ai toute une série de projets sur lesquels je travaille constamment au fil des années. Tous sont à des stades différents de développement. Il est si difficile de faire des films maintenant, tant d'obstacles apparaissent, que j'ai trouvé que la stratégie qui fonctionnait le mieux pour moi était de me concentrer sur le projet qui avait le plus de chance d'aller de l'avant. En 1999, Radio Free Albemuth avançait rapidement. J'allais le mettre en scène et un distributeur qui appréciait le script voulait nous soutenir pour le casting et le financement. Malheureusement cette compagnie s'est avérée ne pas être le partenaire idéal pour mener le projet à son terme. Nous ne parvenions pas à leur faire engager le casting correspondant de façon réaliste à notre budget. De plus ils écrivaient des "notes" sur le script qui me donnait l'impression de compromettre largement les thèmes fondamentaux de notre histoire afin de transformer le film en un banal thriller de SF. J'étais parfaitement conscience de la sorte de script que j'avais écrit et de la sorte de film que je voulais faire. Quelque chose de très fidèle au ton et à l'esprit de Philip K. Dick et à son expérience avec SIVA. Durant cette période où Radio Free Albemuth était en jachère, je me suis concentré sur l'écriture d'autres scripts et une bonne part de mon temps a été consacré à réécrire Coulez mes larmes, dit le policier, une adaptation de PKD pour un grand studio avec Oliver Stone, qui voulait alors le mettre en scène.
J'ai également travaillé très dur sur une adaptation du roman de Jim Thompson Pop.1280 qu'Andrew Dominik (Chopper et Assassinat de Jesse James) devait diriger. Mais le financement, français, ne s'est pas fait au dernier moment. (Comme vos lecteurs le savent, Pop.1280 a déjà été adapté au cinéma par Bertrand Tavernier sous le titre Coup de Torchon, qui a connu sa part de succès quand il est sorti aux U.S.A.)
Sur le plateau de Radio Free Albemuth.
À cette époque, j'ai également aiguisé ma capacité à diriger des acteurs en montant plusieurs pièces de théâtre à Los Angeles, surtout avec une compagnie très réputée, la Classical Theatre Lab. La plus réussie à mon sens était une version du Mari idéal d'Oscar Wilde — une pièce victorienne sombre qui soulignait les motifs dignes d'un film noir que l'on joue habituellement sur le ton de la comédie. J'ai ajouté des entractes qui éclairaient le sens de la pièce, reprenant des parties de la biographie de Wilde, et me basant pour les écrire sur les lettres de Wilde et les retranscriptions de son procès.
Il y a trois ans, je m'intéressais à un modèle de production avec un micro-budget, hors du circuit des studios, ne reposant pas seulement sur les ventes à l'étranger et maintenant possible grâce au cinéma digital. En tant que membre de la British Academy of Motion Picture Arts and Sciences de Los Angeles j'ai organisé et animé plusieurs rencontres et séminaires sur la question. J'ai aussi enseigné un cours sur le micro-budget à UCLA-Extension et ai fait participer près de quarante orateurs, avec lesquels je m'étais longuement entretenu auparavant aussi bien pour mon cours que pour ma propre formation. J'en arrivais à la conclusion que Radio Free Albemuth, hormis pour les effets spéciaux, était un projet qui se prêtait admirablement au micro-budget. Alors j'ai décidé qu'au lieu de suivre le processus habituel qui est de fixer le budget en fonction des stars engagées, que Philip K. Dick serait la "star" qui protégerait l'investissement ; c'est-à-dire que nous allions faire le film avec un budget réduit, repoussant les salaires et même le remboursement de notre investissement dans les droits du film pour le livre, et en échange nous aurions exactement le film que nous voulions faire. Mon associé n'était initialement pas particulièrement à l'aise avec l'idée, alors je me suis retrouvé dans l'étrange position de défendre l'idée que je voulais moins d'argent pour faire mon film — alors, miraculeusement, un investisseur privé est apparu. Il avait lu et aimé le script et voulait financer pleinement le film à hauteur de ce budget limité.
Question : Je suppose que le scénario a dû évoluer au fil des années.
En fait assez peu, il n'a pas été ma priorité pendant un moment. La plupart des évolutions portait sur des idées visuelles et dramatiques plus que sur la production elle-même. Mais durant la période de pré-production de l'été dernier, quand il était sûr que nous allions de l'avant, j'ai retravaillé quelques scènes clés du script et ai dirigé une lecture publique. Après j'ai passé trois ou quatre semaines à faire quelques corrections qui, je le pense, ont précisé et amélioré considérablement le script. Peu de dialogues ont changé durant la production. Les acteurs ont été très respectueux de ce que j'avais écrit. En ce qui concerne la mise en scène, nous étions constamment en train d'improviser en fonction des décors et des lieux de tournage.
Question : Quand avez-vous pris la décision de diriger le film ?
Depuis le moment où nous avons pris une option sur le livre, mon partenaire Dale Rosenbloom a encouragé mon envie d'adapter et de mettre en scène Radio Free Albemuth. Il a soutenu cet objectif durant toutes les années du développement, ce dont je lui suis reconnaissant. Il n'a jamais suggéré que nous soumettions le script à un autre metteur en scène. Je dois cependant reconnaître que si le bon s'était présenté, j'aurais dû considérer cette possibilité très sérieusement. Radio Free Albemuth a toujours été un projet que j'ai souhaité mettre en scène. Pendant un temps, cependant, j'ai pu penser que l'adaptation de Jim Thompson, Nothing More Than Murder, arriverait en premier. Maintenant je me prépare pour ma deuxième mise en scène.
John Alan Simon en pleine discussion avec Shea Whigham (Phil)
et Jonathan Scarfe (Nick)
Question : Comment s'est déroulé le casting ?
J'adore le moment du casting. Chaque acteur qui passe la porte pour dire son texte amène quelque chose d'unique que je trouve particulièrement précieux pour me concentrer sur ma propre approche du personnage. Je prends alors énormément de notes. Des acteurs de renom ont essayé d'obtenir les rôles principaux. J'ai eu le luxe incroyable de prendre les acteurs que je trouvais les meilleurs pour leur rôle — sans avoir à prendre en compte la valeur économique d'un nom, ce qui nuit tellement à l'intégrité des films indépendants. Un facteur était la menace de la grève des scénaristes qui limitait les disponibilités de nombreux acteurs. Deux ou trois fois plus de films étaient en compétition pour un nombre limité d'acteurs réputés. À la fin, après un casting long et intensif, je suis absolument convaincu que les bons acteurs ont trouvé leur place dans ce film. Par une étrange coïncidence, que je trouve être de bon présage, le personnage principal, Nick (Jonathan Scarfe) a la même date anniversaire que Philip K. Dick, le 16 décembre. Mon anniversaire est le 17 décembre, un peu après minuit, mais on m'a toujours dit qu'en fait j'étais né avant minuit, donc le 16 décembre.
Le seul rôle que j'ai engagé immédiatement et par seule intuition est le rôle de Sylvia. J'ai rencontré Alanis Morissette après que son agent de la CAA lui ait donné le scénario. Après une riche conversation de trois heures, je lui ai simplement proposé le rôle. Étrangement, bien que je sois un grand amateur de musique et que j'ai écrit de la critique musicale pendant de nombreuses années, je connaissais à peine ses chansons, mis à part les grands succès de son premier album. Par conséquent, son énergie, son enthousiasme et ses qualités personnelles sont les raisons pour lesquelles je l'ai engagée — j'ai pensé qu'elle serait parfaite comme version moderne d'une Jeanne d'Arc flemmarde (c'est comme cela que je comprends le personnage de Sylvia). Alanis est maintenant en pleine tournée mondiale avec son nouvel album Flavor of Entanglement et n'oublie jamais de mentionner Radio Free Albemuth dans ses interviews. Alors on risque d'avoir le petit bénéfice de la découverte de Philip K. Dick par ses fans. Alanis pense que Radio Free Albemuth marque ses débuts dans un film dramatique et je suis à la fois satisfait et fier de sa performance. C'était un réel plaisir de travailler avec elle.
Alanis Morisette joue Sylvia, une chanteuse qui a peut-être
le pouvoir de changer le monde.
Question : Et le premier jour de tournage ?
Les premiers jours ont été consacrés aux effets spéciaux et aux plans de coupe, donc ce fut un bon échauffement pour moi. Le premier jour de tournage avec des acteurs comportait de nombreuses courtes scènes dans différents lieux répartis dans tout LA. Alors nous avons tourné avec une équipe réduite au minimum. Jonathan Scarfe — Nick, Shea Whigman — Phil et Katheryn Winnick — Rachel ont été formidables en se débrouillant sans loge et en s'occupant, ce jour-là, de leur propre maquillage comme de leurs costumes. Durant cette longue, longue journée proche d'un film de fin d'études, nous sommes devenus un groupe soudé de cinéastes. Quand j'ai commencé à travailler avec une équipe complète, j'ai senti que j'avais atteint un degré de relaxation et de complicité utile pour ce qui se promettait d'être une production souvent difficile et exigeante d'un point de vue logistique. Pendant tout le tournage, j'ai eu un sentiment profond de confiance dans tous mes collaborateurs, que ce soit les acteurs ou les techniciens. Cela a été une opportunité formidable de maturité pour moi. Je suis également reconnaissant Dale Rosenbloom, Philip Kim, Stephen Nemeth et Elizabeth Karr pour leurs conseils, leur travail acharné et leur soutien. Tous, comme moi, étaient motivés par leur amour du roman de Philip K. Dick et la conviction de la pertinence et valeur de l'histoire. Aucun d'entre eux n'a pris un centime de salaire sur le budget.
Hollywood n'a pas jamais vraiment réussi à rendre le mélange particulier d'esprit, de métaphysique, de politique et d'humour noir des fictions de Dick. Génélalement, on se retrouve avec une idée de science-fiction formidable qui sert de prétexte pour un énième film d'action. Comme c'est trop souvent le cas, les motivations du studio sont marquées par leur pusillanimité et leur avidité. Il faut souligner que Radio Free Albemuth a été un sacrifice financier pour toutes les personnes impliquées, et ce à tous les niveaux. Je crois que le résultat final justifiera ces efforts. Et j'aime à penser que Philip K. Dick lui-même serait fier de ce petit film festif et subversif, si fidèle aux thèmes de Radio Free Albemuth. Peut-être que dans une meilleure réalité parallèle il l'a déjà vu. Et la vérité est que quand les choses ont commencé à devenir difficiles, j'ai essayé de m'en tenir aux principes fondamentaux d'une narration claire et simple. En ce sens, je crois que j'ai été en mesure de rester fidèle à son esprit. Je lui en suis très reconnaissant. C'était cool aussi de l'avoir comme personnage dans le film.
Et j'aime à penser que Philip K. Dick lui-même serait fier de ce petit film festif et subversif.
Question : Comment avez-vous travaillé avec les acteurs ? Leur avez-vous demandé de lire le livre ?
J'adore travailler avec les acteurs. D'après mon expérience de producteur, je dois reconnaître que ce n'est pas le cas de tous les metteurs en scène. Nombre d'entre eux viennent du monde de la publicité et du vidéoclip, ne savent pas ce que signifie le fait d'interpréter un rôle et ignorent comment mettre un acteur suffisamment à l'aise pour qu'il puise dans ses émotions. Pendant les cinq ou six dernières années, j'ai mis en scène des pièces à Los Angeles. tout d'abord pour mieux comprendre ce qu'est jouer. J'ai été très chanceux que ma femme, Elizabeth Karr, qui est co-productrice et responsable du casting de Radio Free Albemuth, ait une grande expérience théâtrale, et s'occupe d'une troupe nommée le Classical Theatre Lab. Nous nous sommes rencontrés quand sa troupe a fait une lecture d'un de mes scénarios, Nothing More Than Murder, d'après le roman de Jim Thompson.
Au séances hebdomadaires du Classical Theatre Lab, j'ai eu l'occasion de voir de nombreux metteurs en scène très différents travailler sur scène avec des acteurs. En tant que metteur en scène membre du Lab, j'ai également été amené à connaître de près quelques acteurs. Alors quand j'ai travaillé avec eux sur des pièces, j'ai vu les obstacles qu'ils surmontent parfois pour donner leurs meilleures performances. J'essaye de faire comprendre aux acteurs que je ne les juge jamais. Je n'ai aucune attente particulière. Chaque acteur doit donner une performance émotionnellement authentique. Authentique à qui ils sont. Quelquefois la technique est utile, quelquefois elle dérange. La confiance est l'élément clé du processus. Les acteurs ont besoin d'être dans l'instant, alors la fonction du metteur en scène est de leur donner une critique honnête quand c'est nécessaire. Même si je ne suis pas un acteur, je sais combien il est difficile d'accéder en profondeur à ses émotions. J'ai suivi une thérapie de groupe depuis une dizaine d'années, j'y ai plus appris sur le coeur humain que durant toutes mes études littéraires à Harvard. Vous ne pouvez pas demander à un acteur de se rendre dans des zones émotionnelles si vous n'êtes pas prêt à vous rendre vous-même.
Comme le diraient de nombreux metteurs en scène, le casting est primordial, surtout pour un film qui a un petit budget et un planning serré. Il y a beaucoup plus d'acteurs talentueux pour un rôle que l'individu que vous engagez finalement. Mais si par malheur vous prenez la mauvaise personne, c'est une erreur dont il est difficile de se relever. Sur scène, cela peut s'améliorer, mais pour un film, on n'en a pas le temps.
Mis à part l'ouverture émotionnelle, les qualités que je recherche chez un acteur sont l'intelligence, l'enthousiasme et la curiosité. Il est beaucoup plus facile de travailler avec un acteur si on se sent sur la même longueur d'onde, d'homme à homme. Vous ne voulez pas vraiment être le meilleur ami de vos acteurs pendant le tournage, mais il est important de les aimer. Et il est important, bien sûr, qu'ils vous aiment en retour. Les films sont un travail exigeant et les esprits peuvent s'échauffer. Alors cette connexion souterraine est importante.
J'ai suivi mon propre processus de répétitions avec un "coach" assez incroyable, Joan Scheckel. Elle m'avait été recommandée par Jonathan Dayton et Valerie Ferris qui avaient travaillé de près avec elle avant de se lancer dans Little Miss Sunshine. Quand je leur ai demandé conseil, ils n'avaient que des louanges à son égard. Par chance, son atelier annuel allait commencer juste avant la production de Radio Free Albemuth. Le cours était complet, mais elle m'a pris quand même. Il était entièrement consacré à des techniques particulièrement directes et inhabituelles pour amener les acteurs à exprimer les qualités dont vous avez besoin pour leurs personnages. C'était un travail difficile et très physique. Au final, cela a été une grande préparation pour moi. Comme Walter Hill me l'a dit un jour, le plus difficile quand on dirige des acteurs est de se diriger soi-même. Joan m'a permis de reprendre contact avec mon histoire et mes personnages et m'a fourni de nombreuses façons nouvelles de comprendre le travail d'un acteur.
Sur le plateau, avec John Alan Simon et Jonathan Scarfe.
À cause des menaces de grève des scénaristes de l'automne dernier, et d'autres contraintes, nous devions finir avant la fin de l'année. Nous ne pouvions pas répéter. J'ai rencontré à plusieurs reprises mes acteurs principaux pour parler de leurs rôles. Et le samedi soir avant le tournage du lundi, j'ai présenté les trois amis de l'histoire. Nick (Jonathan Scarfe), Phil (Shea Whigman) et Rachel (Katheryn Winnick) à l'occasion d'un repas chez Hugo's sur West Hollywood. Je suis resté assez longtemps pour que les conversations démarrent et les ai laissés seuls en compagnie de plusieurs bonnes bouteilles de vin jusqu'à la fermeture, vers une heure du matin. Je pense qu'ils se sont rapprochés durant cette soirée, ont pu ainsi développer un sentiment de familiarité pour pouvoir interpréter des amis proches. Avec le recul, je dirais qu'organiser ce repas a été une des meilleures choses que j'ai faites durant le tournage.
J'ai n'ai ni encouragé ni découragé les acteurs de lire le roman. En fait, ils interprètent un script, pas un roman. Donc si ce n'est pas dans le script, ce ne sera pas dans le film. Bien que mon script soit très fidèle au roman, il y a quelques différences, parfois très subtiles. L'intrigue, la philosophie et l'intelligence du roman sont là. L'esprit est le même. Mais les personnages eux-mêmes sont assez différents. D'une part ils sont plus jeunes que ceux du roman. C'est ainsi que je les voyais. D'autres choses ont changé en conséquence. J'ai aussi senti qu'il serait mieux de prendre des acteurs moins connus pour les rôles principaux. Je savais qu'il était peu probable que nous intéressions des stars pour un premier film au budget modeste. Et je savais que ce serait un tournage difficile. La plupart des stars ne seraient pas restées jusqu'à la moitié du tournage. Peut-être que Christan Bale serait resté : s'il a pu travailler avec Werner Herzog dans la jungle, je présume qu'il est capable de tout.
(Lire la deuxième partie de notre interview avec John Alan Simon)
John Alan Simon, auteur, producteur, et maintenant réalisateur nous parle de son adaptation cinématographique du roman de Philip K. Dick Radio Free Albemuth.
Peut-être le film qui parviendra à capture à l'écran l'expérience que constitue la lecture d'un roman de Dick.
Toutes les photos sont © Radio Free LLC.
John Alan Simon : Radio Free Albemuth Redux
Partie 1 - Partie 2
John Alan Simon (droite) avec Jonathan Scarfe (gauche)