Il travaille actuellement sur le scénario de The Owl in Daylight. Le film est produit par Electric Shepherd Productions, dirigé par Anne et Laura Dick. Paul Giamatti est co-producteur et devrait incarner Philip K. Dick.
Question : Tout d'abord, je voudrais savoir comment vous vous définiriez en tant que lecteur de Philip K. Dick.
Tony Grisoni : Je ne pense pas que l'on puisse me qualifier de fan absolu de Dick. Contrairement à l’un des employés de la bibliothèque du coin. Il a déniché une première édition de Docteur Bloodmoney et a découvert le même jour mes liens avec PKD. Il en a conclu que c'était une preuve indéniable qu'il était tombé dans un monde parallèle dickien.
Enfant, je lisais de la science-fiction. Nous adorions les Ace Doubledays quand nous pouvions mettre la main dessus. Ils étaient nazes et promettaient des plaisirs interdits. Et ils étaient américains. Mais je ne me souviens pas avoir jamais suivi un auteur en particulier.
J'ai découvert plus tard que ces couvertures aguicheuses étaient souvent dessinées sans que l'illustrateur ait la moindre idée de ce que les deux histoires imprimées dos à dos racontaient. Il y avait souvent des femmes dans des griffes d'aliens ou des robots monstrueux. Les garçons de 14 ans aiment ce genre de truc.
En fait, en science-fiction j’appréciais plutôt les trucs plus anciens, les gens comme H.G. Wells, l'horreur sublimée de M. R. James, etc. Plus tard il y a eu la poésie majestueuse de Ray Bradbury.
Phil Dick est arrivé bien plus tard. Les jeux de torsion de la réalité, la philosophie expérimentale traitaient très clairement de notre monde qui tombait dans la paranoïa, la peur et le dégoût.
Question : Est-ce que vous avez un roman préféré ?
Tony Grisoni : J'aime lire les premiers romans de Dick – ceux que l'on a qualifiés de romans réalistes – Confession d'un barjo est particulièrement réussi et Les Voix de l'asphalte vient d’être publié pour la première fois. Malgré les maladresses de la jeunesse, l'homme qui tient la plume perce déjà nettement. Mais j’adore Coulez mes larmes, dit le policier. Je venais juste de découvrir les chansons de John Dowland et j'ai lu Coulez mes larmes immergé dans la plus profonde mélancolie – que je pense être au plus profond de l'âme de Dick. Malgré toutes les blagues et l'inventivité, quelque chose de très triste subsistait au fond de lui.
Question : Comment avez-vous été engagé pour travailler sur ce projet ?
Tony Grisoni : C’est l’éditeur qui m’a d’abord contacté. La proposition dont tout le monde rêve : quel roman de Philip K. Dick est-ce que je souhaitais adapter ? LEQUEL ? Grande question. Je me suis replongé dans tout ce que j’avais sous la main. Des histoires et des idées ont commencé à me revenir. Je l'avais lu sans m'en rendre compte. Je restais stupéfait en m’apercevant qu’il était si important pour de nombreuses fictions et spéculations contemporaines. Je n'ai pas tardé à travailler avec les filles de Dick, Isa et Laura, et avec le producteur Lenny Bekerman. Le merveilleux Paul Giamatti fait également partie du projet.
Mais je n'avais toujours pas trouvé le roman que je souhaitais adapter. Une adaptation simple ne m'intéresse pas. Il y a quelques années, j'ai adapté la nouvelle de Brian Aldiss, Brothers of the Head, pour en tirer un scénario. [NDLR : le film est inédit en France. IMDB] Le livre de Brian est une œuvre splendide et l'inspiration majeure du film, mais ce n'était en aucun cas une adaptation directe.
Je m'intéressais de plus en plus à Phil l'humain. Puis j'ai lu un résumé du roman qu'il n'écrira jamais The Owl in Daylight. C'était la parfaite quintessence d'une histoire typique de Dick. Et comme elle n'était pas développée, elle était pure, une simple trame.
Question : On ne sait que peu de choses sur ce que voulait faire Dick avec ce roman. Vous avez rencontré des gens qui ont connu Dick. Paul Giamatti a déclaré à MTV Movie Blog que « l'idée est de prendre une de ses dernières histoires et de l'injecter comme personnage dans l'intrigue. Beaucoup de ses histoires traitent de la réalité perturbée, c'est ce que l'on essaye de faire. » Pouvez-vous confirmer cela et nous en dire plus ?
Tony Grisoni : Dick raconte l'histoire d'un homme, Ed Firmley – un compositeur minable de musiques de film miteux. Ed devient le porteur d'une entité extraterrestre qui vient d'un endroit où le son n’existe pas. Sans aucune forme d'art basée sur le son. Pas de musique. Cette créature est une puce intégrée dans le cerveau d'Ed. Ainsi l'extraterrestre peut faire l'expérience du son et de la musique. Rapidement elle (j'ai fait de l'extraterrestre une femelle) réalise qu’Ed a mauvais goût. Alors elle commence à l'amener vers des sons plus intéressants, puis le pousse même à composer de nouvelles musiques. Ed perd ensuite sa célébrité, sa richesse et devient une vedette de l'avant-garde. Il commence à avoir de violentes migraines, subit un scanner du cerveau et on découvre l'anomalie, l'extraterrestre. Elle se révèle alors à lui et lui explique tout. Elle dit qu'il va mourir si on ne la retire pas de son cerveau, mais Ed s'en moque. Il adore la musique qu'il compose. Il se fiche de savoir si cela va le tuer. Ils se mettent donc d'accord. Juste avant sa mort ils vont le transférer dans une puce et l'implanter dans le cerveau d'un extraterrestre et il partira ainsi pour leur planète qui n'est que lumières et couleurs. Le Paradis.
Mon idée est d'avoir deux personnages – l'un est Philip K. Dick et l'autre est Ed Firmley. Je voulais que ces deux personnages résident apparemment dans deux mondes différents – l'un est celui de la fiction de The Owl in Daylight l'autre est celui du monde (soi-disant) réel de Philip K. Dick. Puis je veux progressivement fusionner les deux. Je veux qu'il y ait un moment à la fin où Ed fusionne avec Phil. Au fil de l'histoire, nous utilisons quelques moments clés de la vie de Phil comme des flashbacks de ses derniers jours dans un appartement rempli de chansons tristes de Dowland. Mais j'ai aussi écrit des scènes avec Phil tirées de ses propres fictions. La ligne entre le rêve et la réalité est floue. L'histoire se replie sur elle-même.
Question : Est-ce que l'on peut dire qu'il s'agit d'un biopic, un film biographique ?
Tony Grisoni : Je n'aime vraiment pas le terme de « biopic ». Pour moi, ce terme désigne des gens bloqués dans un genre fatigué. Vous connaissez le mouvement de l'intrigue les yeux fermés. Aucune surprise. Aucune question. Des vies désossées et préservées dans la gelée cinématographique. Vous en retirez l'impression illusoire et arrogante et que avez compris un homme ou une femme.
Question : Comment progresse l'écriture ?
Tony Grisoni : J'ai écrit le premier jet. J'aime les premiers jets. Ils pétillent toujours d'idées, de passages surprenants et d'humour. Espérons que cela dure !
Question : Est-ce que vous avez une date limite ?
Tony Grisoni : Oh oui !
Question : Est-ce que vous, à un moment donné de votre écriture, avez eu le sentiment d'entrer dans la tête de Philip K. Dick ? Je veux dire, avez-vous essayé d'envisager une question, un problème de la même façon que lui ?
Tony Grisoni : J’aurais préféré ne pas entrer dans l'esprit de Phil Dick mais j'ai réalisé qu'il était entré dans le mien. De son propre chef.
J'ai passé deux ou trois semaines en Californie – pour rencontrer ses amis, ses collègues, ses ex-femmes et enfants, allant dans les endroits qu'il fréquentait, les lieux où il habitait. Tout le monde a été incroyablement généreux. Il était particulièrement aimé, malgré son côté agaçant. Mes rêves durant cette période étaient saisissants. Un rêve récurrent concernait Phil. Il apparaissait sous la la forme d'un petit crucifix en bronze, réalisé avec finesse et qui semblait particulièrement beau, précieux et délicat.
Question : Je suis certain qu'un projet comme celui-ci doit comporter des expériences dickiennes. Pouvez-vous en partager une avec nous ?
Tony Grisoni : Durant mon voyage pour mes recherches, j'ai logé dans la maison que Phil partageait avec sa troisième femme Anne, à la fin des années 50 et au début des années 60, à Point Reyes. C'est le lieu décrit dans Confessions d'un barjo. Habiter dans le même endroit que lui, apprendre des choses sur ce qu’il a vécu dans ces lieux était incroyable. Tous les matins il y avait une petite grenouille assise sur le pommeau de la douche. Elle avait beau être petite je craignais toujours qu'elle ne me saute dessus. Mais elle n'a jamais esquissé un geste. Un matin, je regardais cette petite grenouille et une idée saugrenue m'est venu. J'ai tout d'un coup pensé que c'était Phil – réincarné sous la forme de cette petite grenouille verte. Au moment précis où je le pensais, la grenouille s'est tournée et m'a regardé. Et je jure qu'elle avait une petite barbe. J'ai décidé de partir le jour même.
Lors de mon retour en Angleterre, j'étais en train d'écrire dans la bibliothèque de King Cross. Je lisais un texte traitant de l'intérêt de Dick pour un homme nommé Benjamin Creme [NDLR : Après en avoir dit le plus grand bien, Dick avait changé d'avis une fois l'interview fini - Wikipedia]. C'était vers la fin de sa vie. Creme est un philosophe ésotérique et un apôtre du retour de Maitreya – le Christ. En vérifiant mes emails, je me suis aperçu qu'il allait faire une conférence le soir même à une centaine de mètres de là. J'y suis allé espérant une sorte d’épiphanie. Mais voilà que je me mets à parler comme le type de ma bibliothèque de quartier...
Question : Y a-t-il la moindre chance que Terry Gilliam réalise le film ? (Désolé pour la question, mais il en fallait au moins une sur Terry Gilliam!)
Tony Grisoni : Ah, Terry Gilliam. Je suis toujours prêt à partir à l'assaut des moulins à vent.