Anne Mini est la fille de Kleo Apostolides Dick Mini, deuxième femme de Philip K. Dick.
Elle l'a connu durant toute son enfance et son adolescence, avait quinze ans à sa mort.
Elle est l'auteur d'un ouvrage autobiographique,
A Family Darkly: Love, Loss, and the Final Passion of Philip K. Dick dont la publication a été stoppée par les héritiers de Dick.
Question : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Anne Mini : Je m'appelle Anne Mini et je suis la fille de la deuxième femme de Philip K. Dick, Kleo Apostolides Dick Mini. Philip et ma mère sont restés très proches après leur divorce : en fait, Philip a présenté Kleo à mon père, Norman Mini ; ils travaillaient ensemble à University Radio and Art Music.

Alors que je grandissais, Philip a été mon premier professeur en matière d'écriture ; pour autant que je le sache, je suis le seul apprenti qu'il ait jamais tenté d'éduquer. Il y a une forme de symétrie là-dedans, parce que mon père a été le premier auteur sérieux à donner son avis à Philip et ma mère a été sa correctrice pendant des années. Mon oncle maternel, Alex Apostolides, était lui aussi un écrivain de SF assez réputé dans les années 50. Écrire fait parti de la tradition familiale.

Par conséquent, je suis également écrivain, éditrice et correctrice indépendante. J'écris un blog pour les écrivains qui veulent percer sur le marché américain. Je fais surtout dans l’humour noir et j'ai rédigé un essai A FAMILY DARKLY: LOVE, LOSS, AND THE FINAL PASSIONS OF PHILIP K. DICK qui devait être publié en 2006. Sa sortie a été annulée suite à des menaces de poursuites émanant de la succession de Dick.

Il s'agit d'une comédie noire également: quand j'étais à l'école primaire, mon père était mourant et Philip était mon seul confident adulte. Il traversait une mauvaise période lui aussi, depuis la fin d'e son dernier mariage et son agoraphobie l'empêchait souvent de sortir de chez lui. Nous discutions ainsi régulièrement au téléphone et nous amusions souvent avec un petit jeu : étions-nous capables d'inventer des anecdotes sur sa vie si délirantes qu’elles sembleraient incroyables aux journalistes qui l’intervieweraient ?

Je n'ai jamais pensé que ces histoires puissent être crues. Pourtant beaucoup de vos lecteurs sont certainement familiers avec certaines de ces histoires incroyables qui ont été reprises dans des biographies ou des articles. La plupart de ces anecdotes n'ont pas seulement été crues par des journalistes, mais elles ont continué à être réimprimées, parfois améliorées, depuis la mort de Philip.

Il aurait trouvé cela hilarant.

J'ai pensé qu'il était temps de le révéler à l'ensemble des amateurs de Philip. Il aurait sûrement eu l'intention de révéler la blague un de ces jours. C'était un homme très drôle. Je pense que son humour est largement sous-estimé.
















Question : Pouvez-vous nous parler un peu de votre mère ?

Anne Mini : Kleo est une femme formidable. Elle n'avait que 17 ans quand elle a rencontré pour la première fois Philip — il a été son premier petit ami. Ils sont restés ensemble dix ans, la période durant laquelle il a commencé à écrire de façon professionnelle. Elle a été la meilleure correctrice que j'ai jamais rencontrée — d'un point de vue aussi bien professionnel que personnel, et comme son frère ainé était également un écrivain et un éditeur, elle savait exactement ce qu'elle devait faire pour que les écrits de Philip soient publiés.

Il était trop solitaire pour adhérer à un collectif, alors elle amenait ses premières nouvelles (ainsi que les siennes) à un groupe d'écrivains prestigieux de Berkeley. Elle notait les commentaires et les ramenait à Philip afin qu'il corrige son texte. En réalité, c’est elle qui s'est occupée de vendre sa première nouvelle, ce qui est assez exceptionnel en soi, vu qu'elle allait en cours tout en travaillant afin de faire vivre le ménage.

Je pense qu'il est difficile d'imaginer maintenant, à l'époque des ordinateurs, la somme de travail que représentait le fait de soumettre des textes à des revues dans les années 50. Philip et Kleo glissaient chacune de ses nouvelles dans de grandes enveloppes, avec une enveloppe timbrée pour la réponse et les adressaient à toutes les revues qui manifestaient le plus petit intérêt pour la SF ou la fantasy.
Quand une nouvelle était refusée, comme c'était souvent le cas les premiers temps, les textes revenaient dans leur boite aux lettres avec la précision d'un boomerang. Ils se comportaient comme des écrivains professionnels devaient le faire : ils envoyaient de nouveau les textes refusés à d'autres revues. Afin d'éviter d'avoir à la retaper une fois de plus, ils repassaient les pages pliées par la poste, glissaient le manuscrit dans une enveloppe et l'expédiait à un autre éditeur.
Comme il y avait peu de revues qui publiaient alors de la SF ou de la fantasy, ils devaient tenir des comptes exacts, afin de ne pas envoyer deux fois un même texte à un magazine. Philip ne cessait d'écrire et maintenait autant de nouvelles en circulation que possible.
Combien ? Impossible de le savoir (puisque parfois la seule copie d'un texte était envoyée, et se trouvait par la suite définitivement perdue) ? Un jour, le jeune couple ouvrit la porte et trouva 17 manuscrits refusés éparpillés sur leur tout petit porche. Leur minuscule boite aux lettres n’était pas assez grande pour contenir autant de marques de refus.

Je sais de source sûre qu'une de ces histoires était "Rapport minoritaire".

Quand le travail de Philip commença à mieux se vendre à la fin des années 50, Kleo et lui quittèrent la vie de bohème de Berkeley pour Point Reyes Station. Philip restait écrire à la maison tandis que Kleo continuait à travailler à Berkeley. Il rencontra leur voisine, Anne Williams Rubenstein (je tiens mon prénom d'elle, par ailleurs), et ce fut la fin de leur mariage.

Comme Philip, Anne, et Kleo ont tous écrit à propos de cet épisode, ainsi que de nombreux biographes, je vais m'arrêter là. Disons seulement que j'ai vu, à l'occasion, des comptes-rendus dans des biographies tellement éloignés de ce que ma mère ou Philip m'ont raconté que cela semble devenir des oeuvres de fiction.

Question : Quel est votre premier souvenir de Philip K. Dick ?

Anne Mini : Oh, c'est une question difficile, parce que je ne me souviens pas d'une époque où je ne l'aurais pas connu. Mon premier souvenir date de 1968, quand j'avais deux ans. Je me souviens être en train de danser dans le jardin avec sa quatrième femme, Nancy, et leur petite fille encore bébé tandis que Philip et mes parents nous regardent en riant. La lumière du soleil était particulièrement dorée et les longs cheveux noirs de Nancy volaient dans le ciel au-dessus de ma tête. Elle était splendide à l'époque ; je me souviens particulièrement bien de la façon dont Philip la regardait.

Je sais -- c'est un souvenir d'enfance plutôt banal. Mais une des choses que j'ai réalisée en écrivant mon livre est que le Philip du quotidien est exactement ce qui manque dans à peu près tout ce qui a été écrit sur sa vie.

Question : Comment est-ce que vous définiriez votre relation ?

Anne Mini : Complexe. Chaleureuse. Hilarante. Déchirante. Quelquefois le tout en même temps.

Cela peut sembler contradictoire. Mais ces dernières années, j'ai remarqué que les représentations de Philip K. Dick sont devenues de plus en plus simplistes, au point que je n’arrive plus à reconnaître les traits de l'homme que j'ai connu. Je trouve cela étrange, puisque parler à cinq personnes qui l'ont connu donne cinq regards différents sur ce qu'il était. Surtout si ces cinq personnes sont ses ex-femmes.
J'entends souvent des biographes ou des journalistes dire que c'est frustrant. Alors d'où vient cette idée qu'il était ceci ou cela 100% du temps ?
anne mini Marjon Floris -2

Je n'ai pas vraiment répondu à la question, n'est-ce pas ? Philip a joué plusieurs rôles dans ma vie. Enfant, je le prenais pour un membre de la famille, ce n'était pas si surprenant dans les milieux beatniks qu'une ex-femme reste une amie de la famille. Je l'aimais et lui faisais confiance.

Quand mon père est tombé malade, Philip a été la personne qui m'a annoncé qu'il était mourant — comme je n'étais pas sensée le savoir (à l'époque les enfants n'étaient informés de la mort future de leurs parents qu’au dernier moment, sur ordre des docteurs), ce fut notre secret pendant trois ans et demi. Alors je ne pouvais en parler qu’avec lui.

Cela semble beaucoup plus triste que ça ne l'était vraiment, bien sûr, parce que nos conversations étaient surtout centrées sur lui, sur ce qu'il écrivait, ce qu'il lisait, son dernier béguin. (Il tombait amoureux aussi souvent que d'autres achètent de nouvelles chaussures.)
Il était un exceptionnel conteur. Et je n'ai jamais eu l'impression qu'il me prenait de haut : il a eu la sagesse de me traiter la plupart du temps comme une adulte, ce qui, en considérant qu'il commença à me parler sérieusement quand j'avais huit ans me surprend particulièrement.

Il a été la personne qui me conseilla sur des choses très pratiques, comme comment me comporter dans une petite ville après la mort de mon père, comme faire des recherches pour un travail scolaire ou que faire quand quelqu'un m'a proposé un joint au lycée. (Tous ses conseils étaient contre les drogues.) Il me donnait continuellement des listes de livres à lire, pour lesquels je lui serai éternellement reconnaissant.

Je n'ai pas vraiment compris avant d'être adulte la chose exceptionnelle qu'il avait faite, me prenant sous son aile alors que mon monde devenait si confus. Peu d'hommes auraient fait ça pour la fille de leur ex-femme. À l'époque il ne m'a jamais donné l'impression qu'il accomplissait son devoir, je pensais seulement que nous étions de bons amis.

Question : Comment êtes-vous devenue écrivain ?

Anne Mini : Cette question m'amuse parce que je ne me rappelle pas avoir jamais eu le choix ! Mon père racontait l'histoire du jour de ma naissance, quand il demanda à la sage-femme de le conduire à la première machine à écrire disponible afin de vérifier ce que donnerait sur le papier le nom que lui et Kleo avait choisi pour moi.
Tout le monde écrit dans ma famille. La plupart des amis de mes parents sont des artistes ou des intellectuels. Quand je grandissais, de nombreux étudiants ou des chercheurs venaient à la maison pour poser des questions sur Henry Miller, voire sur mon père plutôt que sur Philip. Cela semble étrange maintenant, mais c'est vrai.
Ainsi j'ai grandi en considérant les manies d'un écrivain comme normales. J'étais le bébé que le bruit de la machine à écrire endormait. Dès l'âge de dix ans, mes parents insistèrent pour que je tape tous mes devoirs, ce qui était du jamais vu dans mon école. J'ai récemment retrouvé certains de ces papiers et j'ai été surpris de constater combien je soignais la mise en page comme si j'allais soumettre un manuscrit à une maison d'édition.

Philip a lu la plupart de mes premiers textes — c'est-à-dire ce que j'ai écrit avant sa mort, quand j'avais quinze ans. Il me donnait ce que je reconnais maintenant comme des commentaires d'un niveau professionnel, un cadeau d'une générosité incroyable que je ne suis pas sûre d'avoir compris à l'époque : quand une histoire de dix pages qui a eu un A dans un cours d'écriture est renvoyé par un ami avec les marges remplies de commentaire et qu'une toute une page supplémentaire est consacrée à d'autres propositions de correction, je pense qu’une fillette de 11 ans pouvait normalement être déboussolée.

Quand je suis allée à Harvard, J’ai cessé d’écrire. J’étais très intéressée par la politique et j’ai découvert qu’il ne fallait pas compter écrire pour un journal de la fac si on ne faisait pas des études de lettres. J’ai fini par me concentrer sur les sciences sociales et par faire une maîtrise sur les institutions, l’histoire et l’économie surtout parce qu’il s’agissait du seul département où l’on pouvait étudier les conflits sociaux. J’ai obtenu un doctorat de science politique dans le but de devenir professeur.

Pour de nombreuses raisons, je pensais que je pourrais plus facilement gagner ma vie comme enseignante plutôt que comme écrivain, ce qui est plutôt amusant c'est que mon premier emploi après la fac était d’écrire pour une sorte de Guide du Routard et mon troisième de rédiger les étiquettes promotionnelles de bouteilles de vin.

Après mon troisième cycle, j’ai repris goût à la littérature : j’ai écrit un mémoire sur les aspects politiques des textes de Mme de Staël et j’ai essayé (sans succès) de donner un cours sur la politique-fiction dans mon université. Évidemment, un roman de Philip était dans ma bibliographie.

J’avoue sans problème qu’obtenir un doctorat a été une erreur. J’ai compris assez tôt que je voulais réellement écrire. J’ai commencé à corriger des manuscrits et à écrire des tribunes politiques. À partir de là, tout s’est enchainé et j’ai publié des articles, des essais et des romans.

Incidemment, c’est Philip qui m’a convaincu de ne pas écrire de SF, ce que je voulais au départ. Il m’a dit qu’on ne gagnait pas assez dans le genre. Quelle ironie.


Question : Quand avez-vous réalisé que le PKD que vous aviez connu était devenu une icône, presque un mythe ?

Anne Mini : C'est une sacré question ! J'ai vu des photos de l'androïde dickien l'autre jour — j'essaye d'éviter ce genre d'images que je trouve effrayante et je suis certaine que Philip aurait trouvé l’idée d'être transformé en un robot terrifiante — et je me disais : "j'ai vraiment des antécédents familiaux particuliers. Tout le monde ne voit pas revenir ses morts sous la forme d'un androïde."

Je devrais remonter plus loin dans le temps. J'ai grandi dans une petite ville, 5000 habitants, un libraire. Je pense que j'ai été protégée de son succès plus longtemps que si j'avais vécu dans une plus grande cité. Jusqu'il y a peu, ma mère vivait dans cette toute petite bourgade. Je sais que cela a été un choc pour elle de rencontrer des fans de Philip partout où elle allait. Un choc agréable, bien sûr, mais je pense que jusqu'alors elle pensait qu'il n'avait un nombre réduit de lecteurs assidus.

Je me souviens avoir été stupéfaite quand il annonça en 1974 que Rolling Stone allait faire un dossier sur lui — pour un enfant, c'était vraiment une chose énorme. J'étais encore plus impressionnée par le fait de voir publiées des histoires que je l'avais aidé à construire que par sa célébrité croissante. Je connaissais son succès par ses récits de rencontres avec des fans (pas toujours amicaux) lors de conventions de SF et quand des apprentis biographes venaient rendre visite à ma mère.

Je ne m’étais pas vraiment rendu compte que j’allais devoir vivre avec cette image publique de lui, bien après sa mort.

Comme je l'ai dit, Philip m'avait toujours dit qu'il avait l'intention de révéler notre petit jeu à ses fans — en fait il était en train d'écrire à ce propos à l'époque de sa mort, dans Radio Libre Albemuth (qui est pour moi, avec SIVA, une sorte de journal de sa relation avec ma famille et moi.)

C'était une blague formidable, il sentait que ses fans allaient l'adorer. Mais ces histoires, croyait-il aussi, aidaient à vendre ses livres. Quel est le meilleur moment pour arrêter une exceptionnelle campagne promotionnelle ?

Je peux vous dire le moment exact où j'ai réalisé que la personne que j'aimais était passée du statut d'humain à celui de mythe : quand Kleo et moi sommes allées voir Blade Runner pour la première fois, peu après sa sortie à San Francisco. J'avais quinze ans.
blade runner 1982

C'était une matinée dans un de ces vieux cinémas construits comme des palaces — immense, le plafond couvert de motifs Art Nouveau, de larges rideaux de velours encadrant l'écran, et un hall qui pourrait accueillir l'ensemble des acteurs de Gandhi. Nous regardions, un peu étonnées, le film se dérouler. Ce n'était pas le film que Philip avait décrit : il nous avait raconté la copie de travail qu'il avait vu dont la beauté l'avait estomaqué. Ce film, bien que beau à sa façon, était bruyant, avec une voix off qui vrillait le crâne du spectateur d'une façon qu'il n'aurait pas supporté.
À la fin du film nous pouvions lire sur l'écran, écrit dans des lettres plus grande que moi :

This film is dedicated

to the memory of

Philip K. Dick

Ma mère fondit en larme, avec de lourds sanglots. C'était la première fois qu'elle voyait cela imprimé, et personne de la production ou de la succession n'avait pensé à la prévenir au sujet de cette dédicace. Nous n'avions même pas été invitées à ses funérailles.

Pétrifiée, ne sachant que faire, je restais assise, lui caressant doucement le dos. Tout d'un coup, nous n'avions pas plus d’infos sur l'avancée de la carrière de Philip que ses fans -- moins même puisque, dans les années suivantes, les fans connaissaient l'existence d'adaptations filmiques bien avant nous. À cet instant précis, Philip devint pour nous ce qu'il était pour le reste du monde, un nom sur une affiche, rien qu’un autre écrivain dont l'oeuvre est portée à l'écran de temps à autre, une couverture anonyme parmi d'autres chez un bouquiniste. Il aurait pu être tout aussi bien Jules César ou Napoléon Bonaparte ou la Grande Catherine, car nous n’avions plus accès qu’aux vestiges de sa vie.

Mais avec une différence de taille : les vedettes de cinéma apparaissent rarement à la télévision pour parler de Jules César. Je n'aime pas particulièrement Napoléon Bonaparte. Et les journaux ne me plantent pas une épine dans le coeur chaque fois qu'ils parlent de la Grande Catherine. Et pourtant, chaque fois que je vois le nom de Philip dans les journaux, chaque fois que j'entends un acteur parler d'un de ses films, chaque fois que j'entends quelqu'un qui ne le connaissait pas réduire sa vie, je pense : "Hé, ils ont pillé mes souvenirs."

Comparé à cet instant, voir l'image publique de Philip évoluer en quelqu’un de moins en moins humain a été moins bouleversant qu'étonnant. Je me demande souvent ce qu'il en aurait fait.

Question : Qu'est-ce qui a mené alors à ce projet autobiographique ?

Anne Mini : En fait, c'est le livre que je m'étais juré de ne pas écrire — du moins du vivant de ma mère. Après tout, je suis restée silencieuse pendant 22 ans. J'ai gardé un secret avec un vieil ami et je voulais le garder pour moi.

J'aimerais pouvoir dire qu'une amélioration de sa réputation m'a jeté vers mon ordinateur, mais en réalité, c'est un étrange accident qui a tout déclenché : une amie a découvert une édition de SIVA dont la couverture montrait un enfant qui ressemblait exactement à une photo de moi.

valis

Je n'en savais rien. Le livre avait été publié des années après la mort de Philip. Mais la ressemblance était assez frappante pour que quiconque m'ayant connu quand j'avais deux ans me reconnaisse immédiatement. Mais comment avais-je fini là ?

Je n'ai pas été en mesure de le découvrir. On m'a dit que ce n'était pas la première fois qu'une personne chère à Philip se retrouvait en couverture, mais je ne peux dire comment cela s'est fait.

Je sais qu'il a écrit à mon sujet — et celui de ma famille bien sûr — toute la bande des beatniks de Berkeley se retrouve beaucoup dans ses écrits. Grandir dans une famille d'écrivains implique l'attente que ce que vous dites ou faites puisse se retrouver dans un roman. Nous avons même parlé grâce à des dialogues de Radio Free Albemuth.
Mais soyons clair, retrouver ce qui semble être une photo de soi sur la couverture d'un vieux livre est quelque chose digne d'une histoire de Philip K. Dick. Qui pourrait résister à ce genre d'invitation ?

Question : Quand les ennuis ont-il commencé avec le Philip K. Dick Estate ?

Anne Mini : Je dois être particulièrement prudente ici parce que cela n'est pas encore fini. Je ne suis pas la seule qui ait rencontré de tels problèmes — il y a aussi une formidable maison de production argentine qui a passé plusieurs années sur un documentaire The Penultimate Truth about Philip K. Dick, et j'espère qu'ils pourront un jour sortir leur film.

Tout d'abord, j'ai eu l'impression que les filles de Philip, qui s’occupent de la succession, étaient assez favorables à mon livre. Les premières réactions que j'ai reçues lorsqu'elles lurent un manuscrit ne m'ont pas semblé hostiles: elles demandèrent quelques changements mineurs que j'étais très contente de faire. À part ce premier ensemble d'observations polies, elles n'ont jamais donné, à moi ou à mon éditeur, une liste de modifications précises, donc, pour autant que je sache, il n'y a rien que je puisse faire pour que le livre devienne acceptable à leurs yeux.

Pour dire la vérité, je n'ai jamais vraiment compris leur refus ultérieur. En fait, quand mon agent m'a téléphoné pour me dire que la succession menaçait de poursuivre mon éditeur, j'ai tout d'abord pensé qu'il plaisantait : mon sentiment était que mon dernier échange de mails avec un des plaignants avait été sinon amical du moins cordial. De mon point de vue, la situation a basculé brutalement de négociable à un blocage complet.

Question : Je ne comprends pas pourquoi menacer de poursuivre un livre qui serait une autobiographie.

Anne Mini : Moi non plus !
a family darkly

Mon livre est surtout une autobiographie qui traite principalement de ma relation avec Philip, bien qu'il y ait, pour des raisons évidentes, des chapitres qui traitent des années 50. Je suis convaincue que les biographies existantes n'ont pas réellement réussi à restituer les personnalités évoquées, particulièrement celle de ma mère. C'était une bande très attachante, ces gens de Berkeley.
Je pensais que comme j'étais dans la position unique d'avoir entendu tellement d'anecdotes concernant les débuts dans l'écriture de Philip racontées par leurs protagonistes — Philip, ma mère, mon père, mes parrains, des amis de la famille — que mon point de vue serait un contrepoint intéressant à d'autres de seconde main. Après tout, les gens racontent les choses différemment à une enfant qu'ils ont connu toute leur vie qu'à un biographe, et j'étais en mesure de revenir sur place et de parler à des personnes qui refusaient de donner des interviews au sujet de Philip depuis des années.
Une des choses qui me semblait très claire quand j'écrivais ce livre était que ma mère, mon père et moi avions connu des aspects très différents de la personnalité de Philip — et qu'il nous avait montré à tous au fil du temps de nombreuses personnalités. C'était une part de son charme complexe. J'ai essayé de rendre compte de cette tension dans le livre, donnant différents points de vue des mêmes événements afin que le lecteur puisse au final décider par lui-même de ce qui était vrai.

Comme je l'ai dit ce livre est une comédie noire.

Je ne comprends pas l'opposition à ce projet — ou pourquoi mon histoire serait plus menaçante que celle de n'importe qui d'autre ayant connu Philip. Un des thèmes récurrents de mon livre, en fait, est l'idée qu'aucun compte rendu de la vie de quelqu'un puisse être crédible à 100%. Les perspectives changent selon les personnes et les époques — et dans les milieux beatniks où j'ai grandi, souvent d'un récit à l'autre.

Nous parlons d'un auteur de fiction après tout.

Je crois sincèrement que le tableau que je peins de lui est sensiblement plus gentil, sans dire plus juste, que le mythe dominant. Qu'est-ce que l'on peut reprocher à cela ?

Question : Avez-vous une idée sur l'évolution de la situation ?

Anne Mini : Je ne sais pas et je continue à réfléchir et à chercher l'avis des lecteurs de Philip sur la question. Je suis convaincue que les fans de ont le droit d'entendre l'histoire que je veux raconter. Si le lecteur décide que le livre est bon, tant mieux, mais même s'il ne l'aime pas je préfère que mon travail soit jugé sur ses mérites propres plutôt que sur ce que les gens pensent qu'il contient.

Peut-être que nous aurons une idée plus claire quand The Owl in Daylight sortira. Nous verrons ce que les membres de la succession veulent dire de leur père. Quand j'écrivais mon livre, je ne cessais de les inciter à partager leur version de l'histoire. Ils ont des idées intéressantes. Mais, honnêtement, je ne vois pas pourquoi nous ne pouvons pas tous donner nos impressions.

Je suis également encouragé par l'augmentation des travaux universitaires sur Philip aux U.S.A. Quand j'ai récemment parlé à
Harvard, j'ai appris que ses livres étaient au programme de deux cours différents ! C'est merveilleux. Les travaux universitaires tendent à prendre plus de risques que des écrits plus grand public, alors peut-être qu'il y a là un moyen pour publier mon histoire.
Je suis convaincue que le livre finira par sortir un jour. Mais je ne sais pas s'il faut qu'un autre éditeur intervienne, que je le publie moi-même ou que je demande dans mes dernières volontés qu'on le distribue gratuitement quand toutes les personnes citées seront mortes. Je pense que ce combat a été très désagréable pour toutes les parties concernées, donc s'il y a toujours un compromis raisonnable possible, j'en serai plus que satisfaite.

Cette interview a été conduite par mails durant le mois de février 2008.
Sur le net :

- annemini.com ;

- la page de son éditeur ;

- et enfin le lien ci-contre montre combien la publication du livre était avancée avant d'être annulée.
Photo de fin d'étude de Kleo Apostolides Dick Mini, quelques mois avant de rencontrer Philip K. Dick.

(Photo utilisée avec la permission d'
Anne Mini.)
anne mini Marjon Floris
Merci à Laurent Queyssi pour ses conseils de traduction.
a family darkly amazon

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