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Je pensais aussi que je pourrais être plus réaliste avec des acteurs moins connus. En tant qu'ancien journaliste, un comportement naturel et des dialogues réalistes très importants au cinéma. Radio Free Albemuth est une histoire très étrange qui se déroule dans une autre réalité. Des vedettes de cinéma auraient, je pense, empêché les spectateurs de l'accepter comme telle.

À tous les points de vue, je pense que les bons acteurs se sont retrouvés dans ce film. Nous avons été en mesure de travailler rapidement durant le tournage parce qu'ils ont fourni des performances d'un niveau constant. La part principale de mon travail était de ne pas être distrait par la logistique du tournage et de rester réceptif à ce que les acteurs communiquaient dans leurs performances.

Si je suis attentif à leurs performances en tant qu'acteur, je sais que ce qu'ils font reste superficiel. Si je suis pris par ce que je vois parce que je vois la vie réelle devant moi, alors c'est bon. C'est ce que j'ai toujours espéré et ce que j'ai cherché. Et la plupart du temps, c'est ce que nous avons eu pour le film. De temps à autre, à cause de contraintes de temps, j'ai dû me contenter d'un peu moins — mais jamais pour les scènes essentielles. Si un acteur me demande ce que je pense de sa performance, je leur dis toujours la vérité. La plupart du temps, les acteurs savent quand ils ont été bons. Si vous leur mentez, ils ne vous feront plus confiance en vos indications de mise en scène. Les acteurs volent en aveugle quand ils jouent. Le metteur en scène est un contrôleur aérien. Imaginez que vous êtes un pilote dans un ciel particulièrement encombré avec d'autres avions, des montagnes qui surgissent du brouillard et que vous ne fassiez pas confiance au contrôleur aérien ou à votre co-pilote. Les acteurs doivent être libres de tenter des choses dingues ou affreuses. Tout comme un auteur. Et ne pas se sentir jugé pour autant. Ils doivent se sentir prêts à prendre des risques. Sachant cela, donnez-leur de la confiance et un sentiment de liberté. Sur tous ces points, Robert Altman était le maître en la matière.  



Shea Whgham on the set of Radio Free Albemuth

Shea Whigham, Phil(lip K. Dick)


Shea Whigman avait un défi à relever en jouant le "personnage" de Philip K. Dick. Pour des raisons en rapport avec les souhaits de ses filles, nous ne faisons pas référence au personnage de "Phil" comme étant Philip K. Dick. Même s'il est désigné comme étant Philip K. Dick dans le roman. Je n'ai pas eu de problème avec cette contrainte. Nous ne faisions pas un biopic. Le "Phil" de notre film est toujours l'auteur du Maître du Haut-Château, Les Chaînes de l'avenir et de Coulez mes larmes, dit le policier. Mais ce n'est pas le vrai Philip K. Dick. C'est une réalité alternative, après tout.
Alors que je travaillais sur le scénario, je pensais que le personnage de Philip K. Dick dans Radio Free Albemuth n'était au final qu'une autre invention de l'auteur Philip K. Dick. Alors j'ai accentué cet aspect dans mon scénario et en ai fait une version un peu plus idéalisée. Comme un écrivain pourrait se voir lui-même. Je pense que "Phil" a les mêmes liens avec le vrai Philip K. Dick que le personnage de Philip Marlowe avec son auteur Raymon Chandler, qui a mis beaucoup de lui-même dans son personnage.

J'ai donné à Shea le documentaire de la BBC A Day in The Afterlife of PKD qui transcrit parfaitement la vivacité et l'humour de Dick. Je ne sais pas s'il l'a regardé. Je ne pense pas qu'il l'ai fait. Pas en entier, en tout cas. J'ai dit à Shea de ne pas essayer de parler comme Philip K. Dick. Combien de personnes savent comment était la voix de Philip K. Dick ? Il n'était pas une figure publique comme Tom Wolfe ou Truman Capote, invité dans les talk-shows de son temps. D'après ce que j'ai pu entendre dans des K7 audios et des vidéos, son accent n'était pas particulièrement notable.


John Alan Simon directing Shea Whigham

John Alan Simon & Shea Whigham (Phil).


Nous avons donné à Shea une barbiche très convaincanque. Et même si Shea ne ressemble pas à l'image traditionnelle de PKD, au sommet de sa popularité, en train de perdre ses cheveux et avec de l'embonpoint, il ressemble à ces photos moins connues de Dick jeune homme. J'ai dit à Shea que c'était une réalité alternative et que le Phil de Radio Free Albemuth n'est pas le Philip K. Dick de notre réalité. Je voulais qu'il se sente libre de trouver la vérité de cette histoire et celle de son personnage par lui-même.

Je pense que cela a libéré grandement Shea. Je crois qu'il a été en mesure de créer un personnage intéressant et mémorable à partir de ses propres ressources et des circonstances qui se présentaient à lui durant les événements de cette histoire. Le public en jugera par lui-même. J'ai montré quelques scènes du film à la fille de Philip K. Dick, Isa Dick-Hackett, qui m'a dit qu'elle aimait vraiment ce qu'il avait vu de la performance de Shea jouant Dick, alors peut-être que la boucle est bouclée et qu'il est parvenu à rendre le véritable Philip K. Dick d'une certaine façon.  

J'ai montré quelques scènes du film à la fille de Philip K. Dick, Isa Dick-Hackett, qui m'a dit qu'elle aimait vraiment ce qu'elle avait vu de la performance de Shea jouant Dick.



Question : Il y a dû y avoir un jour où tout est allé de travers !

J'aurais voulu que ce ne soit qu'un seul jour! Je dois avouer que sur un film de cette complexité et de cette ambition, avec des moyens financiers limités, des choses vont de travers tous les jours. Des figurants ne viennent pas, des lieux de tournage ne sont pas disponibles alors qu'on en a besoin.

Vers la fin du tournage, nous filmions au milieu des pires incendies de l'histoire récente de Los Angeles. Nos permis ont été annulés le jour même où nous tournions. Mais presque sans exception, tous les accidents se sont bien terminés. (Par exemple, la fumée des incendies a donné à l'éclairage du camp de travail de la fin du film une lumière très particulière) Les scènes à Malibu ont été remplacées à la dernière minute par des falaises à vingt miles de Palos Verdes. Mais le nouveau décor, que nous avons dû trouver en urgence, s’est révélé beaucoup plus isolé et beau. Je ne suis pas croyant ni même particulièrement mystique, mais j'ai souvent eu l'impression que quelqu'un ou quelque chose nous protégeait. J'ai appris avec ce film à supporter les coups durs. Je me suis toujours rappelé que la part essentielle de mon métier était de raconter une histoire. De ce point de vue, j'ai recherché un moyen de la raconter de façon simple et, je l'espère, puissante. Même si par malheur ce que j'avais préparé et espéré ne se produisait pas. C'était une grande leçon de confiance en soi, sur la puissance brute de l'instinct et de l'intuition. Et un de mes soutiens dans ce domaine a été mon chef-op Patrice Cochet, qui est Français. Il a une attitude toujours joyeuse, optimiste et pleine d'initiative. Ensemble nous avons trouvé un moyen de contourner tous les obstacles que nous avons rencontrés, tout en profitant du défi à relever.

Une surprise a été de découvrir combien certaines zones de Los Angeles sont devenues hostiles aux équipes de tournage. Alors que nous tournions les scènes qui se déroulent dans la maison des Brady, dans un coin de LA ressemblant à Berkeley par ses collines pittoresques, les voisins sortaient les poubelles pour ruiner nos plans et démarraient leurs tronçonneuses pour nuire au son. Tout le monde dans cette rue pensait que si une équipe tournait dans le voisinage, ils méritaient tous d'être payés, même si seulement une infime partie de leur maison était visible à l'écran. Los Angeles est maintenant blasée par les tournages. Quand j'ai tourné ailleurs, comme en Arizona pour The Getaway, les gens de ces villes étaient incroyablement serviables, curieux de ce que nous faisions. Il est incroyable que Los Angeles soit moins intéressante que d'autres états pour les tournages. Mais nous ne pouvions nous permettre de quitter la ville et je dois admettre qu'il était très agréable de rentrer dormir dans mon propre lit, même si seulement pour quelques heures.

Nous avons tourné pendant 24 jours, soit pendant six semaines. Je ne pense pas qu'il y ait eu un seul jour où nous n'ayons pas travaillé au miminum quatorze heures. Nous n'avions pas le temps, sauf le dimanche, de revoir les scènes tournées. Tous les dimanches, j'allais chercher des lieux de tournages de remplacement pour la semaine suivante. Au final, nous avons terminé dans les temps sans dépasser notre budget.

Question : Comment s'est déroulé le montage ? Est-ce que vous avez dû faire des coupes ?

Le montage est pour bien des raisons mon moment préféré. Mon ami, le metteur en scène Walter Hill m'a recommandé son monteur, Philip Norden, qui est un mordu de science-fiction. Philip a été nommé pour un Emmy pour son travail sur la mini série de Walter Broken Trails, avec Robert Duvall. Philip, comme moi et bien d'autres sur ce film, a travaillé pour une fraction de son salaire habituel, pour le privilège de s'investir dans un projet aussi intéressant et provocant.

J'ai une préférence pour le rythme plus lent des films expérimentaux étrangers. Je viens de voir le film roumain Quatre mois, trois semaines et deux jours [NDR: film de Cristian Mungiu] et à mes yeux c'est presque le film parfait. La sensibilité de Phil va plus vers des films d'action à gros budget, ce que Radio Free Albemuth n'est certainement pas. Alors Phil m'a été très utile pour trouver l'équilibre entre mes idées et son goût plus traditionnel, celui des 'popcorn movie', dans la grande tradition hollywoodienne. Mais nous ne sommes jamais disputés sur quoi que ce soit.

 Alanis Morisette and Jonathan Scarfe on the set of Radio Free Albemuth

Alanis Morisette (Sylvia) & Jonathan Scarfe (Nick)


Les rares fois où nous n'étions pas d'accord, nous trouvions toujours une solution qui était meilleure que ce qui nous avait d'abord opposés. Phil a aussi de l'expérience avec le montage sonore et les effets spéciaux, alors il a été très utile pour faire avancer le film sur ces points pendant que nous travaillions. Quelques-uns des effets temporaires et de nombreux effets sonores vont se retrouver ainsi dans le film fini.

Quand nous avons mis bout à bout toutes les scènes du film, j'ai été très surpris de voir qu'il durait plus de 150 minutes. Même en coupant au plus près, nous touchions seulement à une durée de 140 minutes. Alors, avec beaucoup de regrets sur le moment, nous avons été forcés de couper plusieurs scènes et des intrigues secondaires qui tenaient pourtant la route, mais qui pouvaient être supprimées sans toucher à la logique de cette histoire très compliquée. J'aimerais que ces scènes soient incluses en bonus en DVD. Ceux qui aimeront le film les apprécieront.

D'une certaine façon, je préfère la version "longue", mais plus réalistiquement, la durée actuelle du film de 128 minutes me semble la bonne. Je suppose que si vous n'aimez pas le film, même cette version sera trop longue ! Mais je ne pense pas que l'on puisse couper plus. Mon coproducteur, Dale Rosenbloom, pense qu'une scène ou deux devraient être rallongées.

Question : Quelles sont les étapes suivantes avant que l'on puisse voir le film à l'étranger ?

Je dois d'abord le terminer ! Nous travaillons actuellement sur les effets spéciaux. C'est une étape très lente, très nouvelle et étrange pour quelqu'un comme moi qui ne suis pas un technicien. J'ai la chance que notre responsable des effets spéciaux, Elliot Worman, a autant à coeur que moi de faire les choses correctement. Il travaille lui aussi pour une fraction de son salaire habituel. Nous bénéficions aussi de l'aide d'un graphiste très talentueux et imaginatif, Shawn Hunter.

Le son est également très important pour un film. David Fincher est un maître dans son utilisation du son. J'ai suivi un séminaire dans lequel lui et son responsable du son abordaient cette question. Pour mieux comprendre, j'ai écouté Zodiac avec des écouteurs, souvent dans le noir.

J'ai pu parler avec profit avec David, qui a influencé notre décision de tourner Radio Free Albemuth avec une caméra Thompson Vier, une caméra digitale dernier cri qu'il avait utilisée pour Zodiac et son nouveau film avec Brad Pitt The Curious Case Of Benjamin Button.

A dramatic scene of Radio Free Albemuth

Sur le plateau : Jonathan Scarfe.


Presque tous les films, même ceux tournés en 35 mm, passent maintenant par un DI (Digital intermediate) au cours duquel les couleurs sont corrigées, avant même d'être dévéloppés en 35 mm. Alors en dernière considération, je pense que tous les films sont dorénavant des films numériques, même ceux en 35mm. Rufus Burnham, qui dirige Camera House, qui a fourni les Viper à Fincher, a été très réceptif avec le projet Radio Free Abemuth. Entre autres choses, il nous a recommandé un formidable responsable du son, Evan Frankfort, qui a son propre studio d'enregistrement et qui fait tous les sons du film, donnant même un coup de main pour la musique du film. Une autre personne comme moi qui a porté plusieurs casquettes pour cette production.

Donc, en bref, il reste encore du travail. J'ai eu la chance que mon financier, Philip KIm, qui est également producteur exécutif, soit patient et veuille que le film soit aussi bon que possible. J'espère qu'il sera fini en même temps que le director's cut, en incluant tous les effets spéciaux préliminaires, dans les prochaines semaines. Alors j'aurai un retour de mes partenaires, Dale Rosenbloom, Philip Kim, Stephen Nemeth et Elizabeth Karr. Je vais aussi montrer le film à d'autres personnes en lesquelles j'ai confiance. Il y aura sûrement, je suis sûr, quelques ajustements à faire après ces commentaires. Je vais aussi tourner quelques scènes en extérieur que nous n'avons pas pu faire durant la production, ce qui est courant. Peut-être aussi un peu plus de scènes d'effets spéciaux, si on en a besoin. Je pense qu'il pas qu'il y aura à tourner de nouveau certaines scènes, mais j'ai prévu le budget pour au cas où.

J'ai travaillé comme critique musical, alors la musique est particulièrement importante. Nous sommes en train de choisir les chansons et la bande originale. J'ai l'impression que ce film est un peu comme Blanche DuBois dans Un Tramway nommé désir qui déclarait "J'ai toujours dépendu de la gentillesse d'étrangers."

Je vais projeter le film cette semaine à quelqu'un qui va soit nous fournir d'autres chansons, en plus de cette qu'Alanis Morissette nous a déjà généreusement fournies, ou travailler sur la bande originale, peut-être avec l'aide d'Evan.

Une fois cela terminé, nous parlerons avec les distributeurs. C'est un marché actuellement très difficile aux États-Unis. Un déferlement de films indépendants. Nous avons perdu Warner Independent et Picture House, deux distributeurs qui auraient été très bons avec Radio Free Abemuth. Paramount a fermé la branche marketing de Vantage, ce qui peut diminuer l'intérêt de la firme pour un petit film comme Radio Free Albemuth.

Mais je suis certain que nous aurons une sortie en salle aux U.S.A. Il y a des années, j'étais "producer's rep" et j'avais ma propre compagnie de distribution cinématographique, donc j'ai une connaissance intime du fonctionnement du système. Ma première expérience avec l'industrie du film — autre que celle de critique — était de gérer la restauration et la distribution de The Wicker Man aux États-Unis. Nous avons la chance pour Radio Free Abemuth d'avoir les conseils d'un expert en la personne de Seth Willenson, qui travaille comme consultant pour mon coproducteur, Dale Rosenbloom. Seth a soutenu le projet Radio Free Abemuth depuis le début.

Question :  Pour parler de tout à fait autre chose, avez-vous vu le film de Richard Kelly Southland Tales?

J'ai le DVD et en ai vu des morceaux, mais pas encore le film entier. J'ai lu le scénario, ou du moins une version de celui-ci. Je suis un grand amateur de Richard, qui est également un grand amateur de Dick. Grâce à Richard, j'ai rencontré son responsable de production, Alex Hammond, qui nous a recommandé Priscilla Elliot. Priscilla a travaillé comme directrice artistique sur Radio Free Abemuth. Elle a conçu le logo des FAP (Friends of the American People) et le drapeau américain de notre réalité alternative. Elle a également servi de conseiller pour les effets visuels durant la production et la postproduction.

An extra on Radio Free AlbemuthFriends of the American People
(photo de plateau)



Même sans avoir tout vu, il est évident qu'Alex Hammond, avec l'aide de Priscilla et d'autres, a fait un travail spectaculaire sur Southland Tales. Je pense que Richard Kelly est un des plus prometteurs de nos jeunes réalisateurs, avec Paul Thomas Anderson, Darren Aronofsky ou encore Jason Reitman.

C'est vraiment un moment très excitant pour faire des films.
  

John Alan Simon : Radio Free Albemuth Redux

Voici la deuxième partie de notre interview exclusive avec John Alan Simon où il nous parle de son travail autour de l'adaptation cinématographique du roman de science-fiction de Philip K. Dick, Radio Free Albemuth.



Toutes les photos sont ©
Radio Free LLC.

Partie 1 - Partie 2

Partie 1 - Partie 2
Lire notre interview de 1999 avec John.
En remerciant bien évidemment John Alan Simon pour sa disponibilité, sa passion et sa gentillesse.

John Alan Simon (droite) avec Jonathan Scarfe (gauche)

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