RÉVOLTÉ



Lorsqu’il décide de sortir de la partie, de désobéir à des lois corrompues, le héros du premier roman de Dick, Loterie solaire, prend une posture classique : en rupture certes, mais rationnelle. Pensée. Assumée. Sciemment, il refuse les règles de la « loterie solaire » qui gère la danse du pouvoir, mêlant le hasard à l’institution de l’assassinat légal. S’il rejette la loi, c’est en connaissance de cause, pour un idéal de justice. Car toujours, au final, ce jeu biaisé tourne au profit des grands cartels. En revanche, dans Le Profanateur, paru seulement un an plus tard, la rébellion est sauvage, littéralement impensée. Paradoxe : alors qu’on lui propose de prendre la direction de Télémédia, organisme majeur de la propagande gouvernementale sous couvert d’information et de diffusion de fictions télévisuelles, Allen Purcell profane « la statue officielle du major Jules Streiter, fondateur du Réarmement moral ». Pas comme un révolutionnaire sartrien. Pas même comme le « juste » de Loterie solaire. Non, tel un vandale barbouillant de ses mots et jeux de mots au marqueur noir les publicités du métro. Pire que le révolté de Camus, ce chantre de Gandhi refusant toute idéologie, Purcell est en ce sens – ou plutôt ce non-sens – diablement contemporain. Car il agit en état second, ne comprenant lui-même pas grand chose au sens de son acte, comme répondant à une « envie irrépressible et d’une absolue clarté de me faire cette statue. Je n’ai eu besoin que de deux litres de peinture rouge et d’une tronçonneuse à moteur. »1 Autre détail : l’être humain qui agit ainsi, sous l’effet d’une impulsion de révolte, est lui-même un homme de communication. Un homme de mots. Qui craque devant les mots du pouvoir qu’il servait jusqu’ici. Ainsi ressemble-t-il à ces mêmes hommes de pub rebelles à leur métier qui, soudainement, décident de rejoindre incognito le mouvement Stopub en 2003 ou 2004. Histoire de détourner, de « se faire » des affiches publicitaires du métro ou de train. Purcell, comme beaucoup d’entre nous, n’est pas un pur. À la fois victime et coupable, un jour, comme ça, il se lâche. Il se venge, en un éclat de rire, de ses compromissions d’hier. Il se venge contre lui-même.

1 Philip K. Dick, Le Profanateur (1956), dans le recueil La Porte Obscure, Presses de la Cité/Omnibus (1994), p. 819.

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